Transcender la peur

Par vagues, lancinantes, subtiles ou brutales, la peur nous traverse continuellement. Qu’on la nomme doute, anxiété, angoisse, inquiétude, effroi, crainte, souci, questionnement ou préoccupation, qu’on la situe dans le ventre, la poitrine, la gorge ou la tête importe peu. Nous savons tous identifier cette énergie qui émerge en nous dès que nous donnons de l’importance ou une valeur excessive aux choses de ce monde. Rien n’y est pourtant important, puisque rien n’y dure… Dès lors que nous nous perdons à accorder de l’importance à ce qui est périssable, à ce qui, tôt ou tard, nous sera de toute façon retiré, nous permettons à la peur, cette énergie qui contracte et éteint, de prendre possession de nous.

Tenir exagérément à un travail, à des possessions matérielles, à un « être cher » ou à une relation engendre inexorablement la peur de perdre l’objet de cette étreinte aussi épuisante qu’illusoire. Puisque tout est mouvement, nous ne pouvons nous assurer cette sécurité véritable qu’en nous ouvrant au changement et à la nouveauté qui apparaissent chaque instant dans notre vie. En cherchant à préserver notre zone de confort ou notre routine, en cherchant à figer le plus longtemps possible un environnement dont les limites semblent nous rassurer, nous luttons en fait vainement contre le rythme universel, ce qui ne peut que nous faire sombrer dans la peur et perdre ce sentiment de sécurité. Aurions-nous encore peur d’être licenciés de notre emploi, d’être trompés par notre conjoint, d’être séparés de nos proches, d’être dépossédés de tous nos biens si nous sentions pleinement couler en nous le puissant flux de la nature qui, de par sa  « détestation » du vide, remplace toujours en plus beau, plus vaste et plus lumineux tout ce qui disparaît en nous ou, plus justement, tout ce que nous consentons à lâcher? Ce sont bien notre manque de confiance en la vie et donc l’ignorance de ce que nous sommes qui sont nos principaux pourvoyeurs de peurs.

En vérité, ce n’est pas de mourir ou de la façon dont nous pourrions mourir dont nous avons le plus peur puisque, pour la majorité, nous sommes conscients que cette mort n’est qu’un passage. C’est de perdre « notre » vie avec que tout ce qui s’y rattache dont nous avons peur. Et plus nous accordons d’importance à notre existence, précisément dans ses aspects temporels, plus notre peur de la perdre est grande. Ainsi, quand il devient question de prendre des « risques », de sortir des sentiers battus, de partir à l’aventure, de se lancer dans l’inconnu, de quitter une matrice rassurante ou d’oser se dévoiler publiquement, le degré de la peur qui nous assaille est proportionnel à notre attachement et à notre identification à notre personnalité. Plus nous sommes accrochés à notre individualité, plus nos peurs sont puissantes car ce à quoi nous nous accrochons est inexorablement voué à disparaître, s’effondrer ou être sans cesse remis en cause.

Dans l’expérience humaine, ne nous leurrons pas, rien de ce qui est futile, incongru, dissonant et stérile ne peut perdurer bien longtemps. Ce qui signifie que toutes nos peurs issues de cette illusion de l’importance octroyée aux choses de ce monde devront être examinées en pleine conscience, nommées, reconnues puis éclairées. Et l’un des moyens les plus puissants de dissoudre les peurs inscrites dans nos mémoires cellulaires est de faire, chaque jour, un pas vers quelque chose qui nous effraie ou nous rebute, tel que prendre la parole en public, postuler pour un nouvel emploi, demander de l’aide à un inconnu, se présenter à une audition, laisser couler nos larmes devant autrui ou encore témoigner verbalement à certains membres de notre famille l’affection que nous leur portons.

Il n’existe que deux sources dans lesquelles puiser nos pensées, nos paroles et nos actes. Celle de peur et celle de la confiance. Il est assez aisé d’identifier laquelle des deux nous fournit son énergie, selon ce que nous émettons. A ce titre, « J’espère que… », « Pourvu que… » sont des formulations qui peuvent sembler anodines mais qui portent l’empreinte manifeste de la peur d’une non réalisation de notre vœu.

Enfin, il me semble opportun de rappeler que le concept de protection est très souvent placé dans le droit prolongement de la peur. Quelle énergie initie l’idée que l’on doive se protéger ? La peur ou la confiance ?… Que sommes-nous si ce que nous sommes doit être protégé ? De quoi serait donc constitué ce qu’il y aurait à protéger ?… La croyance en une vulnérabilité fondamentale est le point d’ancrage de toutes nos peurs. En vérité, dissoudre cette croyance rend libre et permet à la confiance de se déployer en nous, autour de nous et à travers nous.

Gregory Mutombo