Assumer ses responsabilités

Le spectacle du monde, aussi dérangeant puisse-t-il être pour nos yeux humains, est le reflet implacable de nos histoires intérieures. Ce que, parfois, nous regardons avec dégoût, dépit, désespoir, effroi, lassitude ou sidération n’est rien d’autre que des aspects de nous-mêmes que nous ne parvenons pas à reconnaître en nous. Si tel n’était pas le cas, nous n’en serions pas incommodés, au point d’en détourner notre regard ou, pire, d’attribuer la cause de notre état émotionnel ou la responsabilité de ce que nous déplorons à l’autre, aux autres, aux gouvernements, au fanatisme religieux, à la Cabale ou, encore, à ces fameuses quelques familles occultes qui régiraient le monde pour le plus grand malheur de l’humanité…

Pour qu’une domination puisse s’installer quelque part, il faut être au moins deux : l’un qui joue le rôle de dominateur et le second qui accepte de remettre son pouvoir entre les mains du premier. Le prétendu dominé a beau ensuite accuser son dominateur de tous les maux ou lui reprocher de prendre presque toute la place, il ne fait là que constater à quel point il a abandonné son propre territoire au profit du dominateur. Et, jugeant l’autre, c’est lui-même en réalité qu’il blâme de ne pas assumer l’espace existentiel qu’il est censé occuper de par sa simple présence en ce monde.

Ne sommes-nous pas fatigués, épuisés même, de ne pas prendre nos responsabilités ? Lorsque nous prenons conscience conscience que nous vivons tous entourés d’un miroir panoramique qui, en permanence, ne produit rien d’autre que le strict reflet de nos croyances, paroles et pensées, alors peut survenir cet instant de grâce où nous concevons, enfin, dans chacune de nos cellules, d’une part, que rien de ce qui nous est montré n’est le fait exclusif de l’autre et, d’autre part, que tout ce à quoi nous assistons ou dont nous nous estimions être les victimes ne nous est en fait présenté que pour éclairer en nous des parties portant des empreintes de même fréquence.

Tant que nous regardons à l’extérieur de nous-mêmes pour expliquer ou justifier notre mal-être, nous rechercherons également à l’extérieur la solution à cet état dépressionnaire. Et, ici, les subterfuges actionnés par la personnalité se révèlent, si l’on s’observe avec un minimum d’humilité, d’une remarquable et croissante finesse…

Tant que nous regardons encore le doigt qui pointe nos parties sensibles et non les parties sensibles elles-mêmes, nous fuyons notre responsabilité.

L’ego, au travers de la personnalité, se débat avec la plus féroce des intensités pour maintenir en nous la croyance que l’environnement, le niveau de ressources matérielles et la nature de l’entourage humain conditionnent le malheur ou le bonheur dans l’existence. Inlassablement, il cherche donc à contrôler tout ce qui l’entoure avant d’être tôt ou tard confronté à son impuissance puisque, de toute évidence, tout lui échappe dans cette quête illusoire. Il lui faut donc rapidement un coupable pour compenser ce sentiment d’impuissance et il le trouve toujours à l’extérieur. Cette irresponsabilité génère sur nos épaules un poids considérable qui correspond à la croyance de devoir vivre dans un monde qui a ainsi le pouvoir de nous rendre tour à tour heureux ou malheureux.

A contrario, ceux qui croient, par la visibilité que leur confèrent leur statut économique, leur rang social ou leur actuelle notoriété, détenir une plus grande responsabilité, font peser sur leurs épaules le poids de leur propre illusion. En vérité, on n’est jamais responsable que de soi-même…

La paix, la joie, la confiance et la sérénité sont nos états intrinsèques, nos états naturels, ceux-là même que nous sommes venus vivre en ce monde. Ils ne sont, par conséquent, en rien tributaires des conditions dans lesquelles nous évoluons. La paix qui nous anime n’est pas censée être impactée par la guerre. C’est l’inverse. La joie qui nous anime n’est pas censée être réduite par la tristesse des autres. C’est l’inverse. La confiance qui nous caractérise n’est pas censée être diminuée par la peur collective. C’est l’inverse. La sérénité qui nous anime n’est pas troublée par la colère du monde. C’est l’inverse.

Tout ce que l’existence nous offre de vivre, de l’aube au crépuscule, concourt à nous responsabiliser et à assumer chaque jour davantage Ce que nous Sommes, en désignant en nous, sans complaisance, ce que nous refusions de voir et donc d’éclairer par la lumière de notre conscience. Comment, animés de cette inaltérable certitude, de cette confiance, pourrions-nous encore craindre quoi que ce soit ? De quoi aurions-nous donc peur, sinon de voir nos espaces demeurés obscurs, nos espaces d’ignorance dans lesquels perdure le doute ?

Plus nous assumons nos responsabilités, plus nous retrouvons notre liberté, notre puissance et notre pouvoir de création.

Par égard pour ce que nous sommes, concevons et murissons cet apparent paradoxe : plus nous assumons nos responsabilités, moins de poids pèse sur nos épaules.

Moins de poids pèse sur nos épaules, plus nous devenons disponible pour les autres, tous ceux vis-à-vis desquels nous nous sentons, souvent à tort, responsables.

Gregory Mutombo