Tentation de repli identitaire et communautarisme intellectuel

Certains éprouvent des difficultés à entrer en relation avec des personnes accrochées à une conception la vie qui leur est étrangère. Tentés tour à tour par le prosélytisme, le désir de convaincre, de changer l’autre et de fuir, ils se sentent en inconfort dès lors que leur entourage manifeste une certaine hostilité face à leur vision de l’existence.

Si nous évoquons cette notion de « conscience », entendons qu’il est du droit de chacun d’opter pour telle ou telle appréhension de ce qui l’entoure, sachant que rien n’est véritablement figé et que la « vie » se charge – sans effort – de guider vers ce qui est vrai. Vouloir convaincre quelqu’un au prétexte que sa vision serait erronée nous place dans une tension, dans une action attendant un résultat. Vouloir amener l’autre à sa perception ou à son « niveau » de conscience, à sa vision des choses découle de l’importance donnée à la forme de la relation et de l’oubli qu’il n’est pas besoin d’être « d’accord » pour partager l’essentiel.

Si nous donnons de l’intérêt à l’expression des critiques d’autrui et cherchons à modifier son avis, nous augmentons l’agitation : là où il n’y avait qu’une seule personne en réaction, il y en a désormais deux. Alors que si nous nous laissons traverser, portés par la certitude et la connaissance que la relation à l’autre est totale et permanente en dépit des vaguelettes de surface, nous incarnons la confiance, nous l’ancrons sans rien faire, nous sommes ceux qui savent – c’est une image – que la lumière n’a pas d’effort à produire pour éclairer l’obscurité car l’obscurité n’est qu’un oubli. Elle n’est que la conséquence d’un rideau tiré devant une fenêtre. Se laisser traverser par les divergences exprimées et les critiques formulées ne signifie pas que nous restions nécessairement silencieux. Cela veut dire que nous restons tranquilles, que le calme est notre demeure et que les mots qui parviennent à notre bouche ne désirent rien de particulier, ne portent pas d’ambition par rapport à l’autre, ne sont pas des arguments ou une plaidoirie mais simplement la sagesse qui, dans sa fraîcheur perpétuelle, s’énonce sans but.

Quel problème pourrait-il encore subsister du fait d’être entouré d’interlocuteurs rétifs ? L’ego croit qu’il est toujours préférable d’être au milieu de partisans. Il aime prêcher des convaincus car cela le rassure et lui évite d’être en contact avec ses propres turbulences. Emporter l’adhésion autour de soi n’est pas forcément le signe que ce nous exprimons est parole de vérité. Chacun sait à quel point l’histoire terrestre est constellée de dictateurs, politiciens, guides et gourous dont les discours ont dupé des foules enthousiastes. L’intensité de la vérité qui nous traverse ne se mesure pas au nombre d’éloges que nous recueillons, qui ne sont que des jugements et appréciations fugaces auxquelles aucune importance n’est à accorder. L’inverse est tout aussi vrai.

Ceci nous conduit à observer une tentation égotique : le repli identitaire. D’où provient cet appel à fonder des communautés dogmatiques, des groupes de pensée, des clubs d’idées et autres think-tanks , sinon de l’idée d’être mieux entre personnes qui s’entendent, se comprennent, parlent le même « langage » et seraient sur la même «longueur d’ondes» ?

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se ménager des espaces particulièrement harmonieux ou libres de polémiques stériles, juste qu’il s’agit d’être honnêtes et lucides et d’examiner avec courage et lucidité nos motivations.

Ne peut-il exister une certaine satisfaction à partager ce que nous sommes, assis sur la certitude qu’un éventuel désaccord formel n’influe en rien sur ce qui se vit ? La croyance que nous ne pouvons pas « être nous-mêmes » dans certains cadres ou situations nous en donne la fausse perception, puisque l’intellect humain tend le plus souvent à valider et vérifier – rendre vraies – ses croyances. La tentation de désigner hors de soi un motif à la non expression de cette nature profonde est donc forte et c’est elle qui incite un grand nombre de « penseurs » à vouloir rejoindre des lieux ou des personnes apparemment plus propices au partage de leurs convictions. Au détriment, évidemment, de la mise en relation et du partage des informations, idées et inspirations.

Gregory Mutombo