Échec et réussite
l nous faut examiner cette idée de
réussite et d’échec. Qu’est-ce donc que cette réussite sinon
l’issue, le dénouement répondant parfaitement aux attentes du
mental, c’est-à-dire une sorte de concrétisation de son pronostic
le plus optimiste ? Qu’il s’agisse de réussir un examen,
parvenir à grimper au sommet d’une montagne, battre un adversaire,
remporter un prix, gagner une élection, convaincre un interlocuteur
opiniâtre, marcher pieds nus sur des braises ou bien, encore,
traverser un précipice en marchant sur un câble tendu au-dessus du
vide, la notion d’avant et d’après est constante. Quelque chose
en soi pense : « Si j’atteins tel objectif alors cela, si je
remporte tel concours alors ceci, si je gagne tel procès donc cela,
si je franchis tel cap alors ceci, etc. »
Dans le mental,
quelque chose de redoutablement insatiable et répétitif imagine et
projette un plus ou un mieux vers le but, vers le moment idéalisé
de la réalisation du défi. Pourtant, ce qui est systématiquement
observé, c’est le caractère éphémère et illusoire de la
satisfaction obtenue. Le contentement ne dure pas, il s’étiole,
glisse, coule entre les doigts comme du sable sec et fin. C’est un
pic qui précède un gouffre. L’objectif atteint, la victoire
obtenue ou la partie gagnée, plutôt que de remplir, paraît vider,
en définitive, celui ou celle qui y avait placé l’espoir d’un
accomplissement. Un constat intérieur, immuable, semble dire : « ce
n’est pas assez, il en faut plus, montons la barre encore un peu
plus haut ».
Se soumettre à la tentation de viser plus haut et
plus loin est une fuite en avant, une recherche vaine d’une
complétude par une action ou une obtention s’inscrivant dans le
temps et dans l’espace. Il n’y a aucun problème en la
réitération obstinée de cette démarche, sauf si elle prétend
conduire à réaliser sa nature véritable qui, elle, est
indépendante des performances incluses dans un système
spatio-temporel.
L’échec n’est rien d’autre qu’une non
réussite. Il est une issue qui ne correspond pas aux attentes ou
prévisions d’une personne. Dit en d’autres termes, c’est un
dénouement contraire à ce qu’elle désirait voir se réaliser
dans son existence. Ce qu’elle appelle « échec » est un fait ou
une situation qu’elle juge non conforme à l’idée qu’elle
entretient d’une réussite ou d’un succès.
Réussite et échec
sont des jugements de l’ego, bien en peine de comprendre les
tenants et aboutissants de ce qu’il constate, dès lors qu’il
fonde ses analyses et établit ses conclusions en s’appuyant
exclusivement sur ses cinq sens. Lorsqu’on en vient, par exemple, à
parler d’échec pour désigner un divorce, c’est que l’amour
entre deux êtres est vu comme quelque chose pouvant se réussir ou
se rater. Il est dit de même pour des faillites, des changements de
travail, des réorientations scolaires, des fermetures ou des
négociations, alors que ces mouvements ne symbolisent que le cycle
de la vie, à l’instar des feuilles brunies qui se détachent des
arbres à l’automne. Comme, du haut de son promontoire, l’ego
croit savoir ce qui est bon pour lui, les autres et même la bonne
marche du monde, il ne peut s’empêcher de juger ce qui advient en
le qualifiant tour à tour d’échec et de réussite. Le seul échec
est dans le maintien du jugement. La seule réussite est dans la
cessation du jugement. L’un et l’autre ne se situent jamais dans
la chose jugée.
Gregory Mutombo