Au-delà de l’épreuve
Qu’a accompli une personne estimant avoir surmonté une épreuve ?
S’agit-il d’avoir reconstruit une maison emportée par une tornade ?
Vaincu les symptômes d’une maladie invalidante ? Retrouvé une certaine
aisance financière après une faillite retentissante ? Recouvré un
honneur souillé par une calomnie infamante ?… Surmonter une épreuve ne
consiste pas en la récupération d’un bien matériel, d’une aptitude
physique ou d’une « bonne » réputation. En vérité, la transcendance de
ladite épreuve ne se réalise pas dans le monde manifesté, perceptible
par les cinq sens, mais au sein de la conscience, dans les creux du
silence intérieur. Quant à la modification factuelle du scenario ou la
disparition du phénomène initial, elle n’est qu’une conséquence
potentielle et ne revêt donc qu’un intérêt secondaire.
L’épreuve
n’existe que pour ceux qui accordent de l’importance au monde de la
forme, c’est-à-dire à ce qui apparaît puis disparaît dans le champ
d’observation. Du corps aux avoirs, en passant par les opinions émises
par les uns et les autres, tout est fluctuant, instable, périssable,
corruptible et temporel. L’intégralité de ce qui est objectivement
observable apparaît, se modifie puis, tôt ou tard, disparaît. Bien des
étoiles que nous continuons de contempler dans la voute céleste ont
d’ailleurs déjà disparu depuis fort longtemps. Cela est ainsi, que nous
le voulions ou non. Que, du haut de leur orgueil, certains estiment
cela injuste, cruel, triste ou prématuré n’y change rien.
Puisqu’elle ne lui est plus utile, l’épreuve disparaît pour quiconque
transcende son attachement aux formes et, ce faisant, invalide sa
croyance en une unique réalité tridimensionnelle. La transcendance de
l’épreuve n’est donc pas un rebond physique ou psychique ni une
résurrection sociale, financière, affective ou morale. Elle est la
libération de l’idée d’être quelqu’un vivant quelque chose contre son
gré. Cette acceptation totale du scenario en cours met en outre un terme
au besoin d’en connaître le dénouement puisque, ne servant qu’à nous
faire définitivement lâcher prise, il n’en possède pas en soi. Est-ce
que cette acceptation signifie la fin des aléas de l’existence, remous
ponctuels ou frictions intérieures ? Non, juste que plus aucune
importance ne leur est accordée. Ces éventuelles péripéties sont
exactement comme les nuages se formant puis se dissolvant dans le ciel.
Est-ce que le ciel s’inquiète ou s’émeut du nombre, de la couleur ou de
la taille des nuages qui le peuplent ? De la force des vents qui dansent
en lui ? De l’intensité des orages qui déchirent épisodiquement son
azur ? Craint-il pour sa propre persistance ou sa survie ?
Notre
souffrance procède de notre réticence ou notre résistance à voir ces
épreuves pour ce qu’elles sont vraiment : des nuages et du vent. En
quête d’un bonheur sans tâche et sans vague, l’ego focalise son
attention sur la noirceur des nuages et la confond avec la couleur même
du ciel. Notre nature profonde est pourtant telle le ciel : un infini
espace au cœur duquel vont et viennent des phénomènes dont aucun ne
dure. N’est-ce pas le soleil qui génère les nuages en réchauffant les
eaux terrestres ? Ainsi, nous ne pouvons vouloir le soleil sans vouloir
les nuages. C’est pourquoi lorsque nous jugeons les nuages, nous jugeons
tout autant la chaude et pure lumière qui permet leur apparition. Il en
va à l’identique en nous-mêmes. Chaque fois que nous blâmons les nuages
de l’existence, nous nous jugeons nous-mêmes, ce qui, tel un cercle
vicieux, amplifie notre inconfort. Peu importent le temps passé et
l’énergie dépensée à résister à cette évidence : la souffrance du
personnage n’est absolument rien en regard de l’ambition de son âme.
Gregory Mutombo